Oui, (pour les lettrés que vous êtes, commencez un texte par ce fameux « oui », ce n’est pas sans vous rappeler quelque chose !)
Oui, donc, je dois être un très mauvais patriote. Du reste, je le confesse et le revendique même : je ne suis absolument pas patriote.
Qu’est-ce que cela peut bien signifier, être « Français » ou « Italien » ou « Russe » ou encore « Sri Lankais » ? Ce n’est que par un pur hasard que je suis né sur une portion de cette terre qui s’appelle France ; quelle entité peut-elle bien revêtir, elle qui est issue d’un mixage étonnant de races différentes, au point même que nombre de nos xénophobes du Front National devraient en rougie de honte en constatant que dans nos gênes il y en a qui proviennent de l’invasion arabe du 8ème siècle ?
Quelle autre entité culturelle spécifique pourrait bien avoir la France, elle dont les expressions culturelles sont tellement imprégnées d’une histoire européenne depuis les gréco-latins jusqu’au flamands ou aux italiens ou même aux ibères sans oublier pourquoi pas les noirs africains expatriés comme esclaves aux Etats-Unis et dont les rythmes d’un jazz naissant ont enthousiasmé des musiciens comme Maurice Ravel ?
Non, qu’on ne me fasse pas doucement rigoler en voulant à tout prix être fier d’être français, ou alors, oui, je suis fier de l’être comme étant la composante de toutes ces races et autres communautés territoriales qui ont marqué mon univers culturel … mais dans lesquels (composante et univers culturel) la nation Française en tant qu’Etat n’a aucune part de responsabilité !
Avouez que nos journalistes de toutes les sources médiatiques confondues auraient quelque peu bonne mine, si à chaque victoire olympique de l’une de nos vedettes sportives, il fallait rajouter toutes ces composantes territoriales dont elles (les vedettes !) sont issues. On arriverait à des cafouillages tels que nos journaux satiriques ne sauraient plus où donner de la tête pour en sélectionner les meilleurs.
Mais ceci dit, il y a une autre raison pour laquelle je suis complètement scandalisé par ce choix délibéré de vouloir réduire la réelle performance d’un(e) athlète à sa seule appartenance nationale : c’est nier la personnalité (dons et capacité à les exploiter) de l’athlète et dans laquelle l’Etat en tant que tel ne rentre que pour très peu : même si l’Etat, et c’est normal, met à la disposition de ces athlètes des moyens matériels conséquents, ce ne sont pas eux qui permettront à ces athlètes de remporter le titre olympique convoité.
Un autre fait me frappe : seuls les sportifs sont intimement associés à cette notion de nationalité (je note au passage que le même phénomène frappe toutes les manifestations sportives, et qu’il commence même déjà à l’échelon des villes et des équipes de football !!!). Cette confusion est affligeante car elle tendrait à faire croire que sport et politique sont intimement liés, dévalorisant ainsi le premier au profit de la seconde. Ce qui devient hélas le cas, puisqu’alors le politique se pavanant des succès du sport peut regagner cette popularité que les actes politiques proprement dits lui ont fait perdre. Ce qui était valable du temps où la droite était au pouvoir a-t-il vraiment lieu d’être alors que les « valeurs » de la gauche politique devraient diamétralement opposées ?
Fait particulièrement intéressant, il n’y a que le sport à être associé directement à l’idée de Nation ; pour les artistes et autres intellectuels (qui peuvent tout autant, sinon mieux, que les sportifs faire avancer une société !) avez-vous déjà entendu une quelconque référence à leur nationalité ? On ne s’intéresse pas à Alexandre Taraud en tant que pianiste français, mais bien en tant que pianiste ; on n’étudie pas Michel Onfray en tant que philosophe français, mais bien en tant que philosophe ; et si d’aventure, lors d’une quelconque manifestation, on les affuble du qualificatif de leur nationalité, ce n’est que pour les situer géographiquement, et non pour une quelconque connivence entre leur nationalité et leur activité intellectuelle ou artistique.
Mais il y a pire dans l’attitude des médias : à insister sur la victoire (et très peu sur les défaites, ce qui est significatif !) de nos athlètes en tant qu’athlètes français, il y a un côté particulièrement pervers : on chatouille là où cela fait du bien, l’esprit de Clochemerle est là ! Chanter, « gueuler » (il n’y a pas d’autres termes lorsqu’on voit certaines images de supporter !) cocorico, et tout le reste vous oublierez ! Alors on met le paquet : la moitié d’un journal télévisé consacré à l’évènement, enfin à ce qu’on nous présente comme tel.
Car l’autre paradoxe est aussi là : dans l’antiquité les Olympiades avaient un sens politique réel ; cette lutte fraternelle entre différents athlètes impliquait un acte politique fort de la part des cités grecques qui y participaient : une trêve dans tous les conflits qui pouvaient opposer deux ou plusieurs cités. Aujourd’hui on offre comme pur divertissement des jeux olympiques mais les conflits demeurent avec la participation souvent active des principales nations : ont-elles vraiment leur place aux JO, cette Russie ou cette Chine qui arment le bras meurtrier de la Syrie, ou encore toutes ces nations occidentales qui œuvrent en Afghanistan, ou encore … et toutes ces nations méritent-elles de soutenir des valeurs sportives qu’elles contredisent au niveau de leurs actions internationales ?
Décidément rien de changé depuis quelques vingt siècles : le « panem et circenses » demeure toujours d’actualité !