Salah Al Hamdani, Ronny Someck : Bagdad-Jérusalem à la lumière de l’incendie.
Quelques pourcents de lecteurs lisent de la poésie ; il serait intéressant de se livrer à une étude sérieuse pour savoir qui ils sont (cela est facile !), ce qu’ils recherchent dans la poésie (cela devient plus difficile), quels sont les plaisirs qu’ils en retirent (cela est pratiquement impossible !).
Ces quelques réflexions, je me les livre chaque fois que j’ouvre un recueil de poésies (ou poèmes, ne sachant plus exactement où se trouvent les frontières entre les deux termes !). Et elles me sont revenues avec encore plus de force lorsque j’ai achevé la lecture de ce recueil.
Si, après tout, la recherche dans la lecture de la poésie était identique à celle menée lorsqu’on dévore un roman ? Ne reviendrait-on pas somme toute à la même problématique : à quoi aspire le lecteur, de n’importe quelle source écrite que ce soit ?
Si on peut accepter des critères comme la surprise, trouver ce que jamais on n’aurait pus soupçonner, fond et forme, ou encore l’émotion, vibrer sur une phrase ou un groupe de mos comme dans une situation exceptionnelle, alors on a le moteur clé de toute lecture de fiction.
Je ne m’y entends pas tellement en matière poétique, je me laisserai davantage guider par mon seul cœur, mon seul goût instinctif de la musicalité des mots ; et alors je me trouve devant un abîme de réflexions dont la plus provocatrice est bien : et s’il n’y avait pour moi aucune différence entre la poésie nordique et celle méditerranéenne ? car dans l’une comme dans l’autre quel est le ressort primordial : capter l’attention par des formules inhabituelles, forcer le lecteur à réfléchir par des mots placés dans des systèmes inusités, émettre des idées qui sortent des schèmes traditionnels ou plutôt banalisés par des médias en mal de compréhension et d’audimat.
Je m’aperçois tout à coup que je viens de définir ce qui fait la force de cet unique recueil de poésies (poèmes ?), dont, grâce à ma médiathèque préférée, j’ai pu prendre connaissance.
Pouvait-il y avoir deux écrivains de nature aussi différente que l’un appartenant à l'opposition irakienne et qui a été obligé de fuir son pays natal, et l’autre de souche irakienne aussi mais de culture et confession hébraïque ?
Et pourtant ils se retrouvent tous les deux dans les mêmes situations : minoritaires culturels, exils, désirs de reconnaissance et aussi besoin vital d’accepter les autres avec toutes leurs différences. Et tous les deux se retrouvent confrontés à cette autre évidence : leur appartenance à des mondes culturels et confessionnels différents devraient non seulement les opposer, les faire se haïr (est-ce bien français ?), eh bien non, ils veulent vivre ensemble, se connaître et pourquoi pas s’aimer sur cette terre, le Moyen-Orient, l’Irak, de leur enfance sans que des forces politiques, et d’autant plus cruelles qu’éphémères, ne puissent s’opposer à leurs aspirations.
Alors, ils s’expriment avec des mots qui sont naturellement beaux parce qu’ils partent de leur cœur, parce qu’ils trouvent ces racines que tout un chacun ressent en lui-même. C’est tout à coup l’explosion d’images, de métaphores, de choses qu’on n’a jamais su exprimer, parce que tellement insolites, contraires à la rationalité de toutes les académies, et on se trouve enchaîné à leur verbe …
Il est bref ce recueil, mais tellement dense ! Vous ne connaissez pas l’hébreu, et le texte original en cette langue, placé en regard de la traduction vous incite à faire ce pas que la seule fainéantise vous interdit : apprendre, connaître l’hébreu pour mieux vous rassasier à l’infini des mots dont la traduction, malgré toute sa fidélité, vous semble quelque peu imparfaite ! il en est de même avec les textes arabes ! Mon Dieu, ne me traitez pas de sectaire, de fanatique, mais comme elle est belle cette écriture arabe, ces lignes à la fois géométriques et invitation suprême au rêve, à l’évasion …
Et comme ils sont beaux tous ces textes, tous qui reflètent cette seule et unique aspiration : pouvoir vivre dans ce qui est à mon origine même.
J’aurais aimé vous citer quelques-uns de ces vers … mais, grande faiblesse de ce petit occidental que je suis, je n’ai pu résoudre à en privilégier quelques-uns … il aurait fallu que je vous cite au moins la moitié de ce recueil …
Alors ? Lisez cet opuscule, et vous serez surpris de constater que l’intégrisme affolant qui semble ravager tout le Maghreb et le Moyen-Orient est vraiment indigne de ce que peuvent vivre en profondeur, hors de toute appartenance religieuse, les populations magnifiques de ces merveilleux pays.
PS Editions Bruno Doucey, 2012, 149p., 16€