Flann O’Brien : Le Troisième policier
L’ami qui me l’a passé, n’a pas tari d’éloges sur ce roman et son auteur ; et à tel point, que lorsque je l’ai commencé, je me suis senti immédiatement pris dans une espèce de tourbillon où l’irréalité se substituait bien avantageusement à notre monde quotidien.
A commencer par la préface de Linda Lé et surtout l’impressionnante introduction qu’en fait le traducteur Patrick Reumeux.
Oserai-je prétendre faire un résumé de ce roman ?
Un quidam, celui qui sera le héros principal, un grand admirateur et exégète d’un savant parmi les plus réputés, De Selby, se trouve mêlé à un assassinat d’une espèce d’usurier moderne plein de sous. Toujours par le même hasard il va rencontrer des gendarmes, des policiers très étranges dont la principale occupation est bien de s’occuper de bicyclettes ; il sera bien sûr arrêté et condamné à la peine capitale, dès que sera dressé l’échafaud adéquat… mais voilà ces policiers ont aussi une très grande propension à divaguer au sens le plus fort ; et c’est ainsi que l’un d’entre eux entraînera notre héros dans une aventure (mystique, mystifiante, mystificatrice, tous ces adjectifs et leurs homonymes seront appropriés à ce passage) qui le fera pénétrer dans l’au-delà !
Mais évidemment tout se terminera pour le mieux dans le meilleur des mondes, et dans une imagination toujours aussi débridée de l’écrivain.
Car il en faut de l’imagination pour concevoir tout ce qui se passe, à commencer par cette invention proprement géniale de cet érudit De Selby, et tout ce qu’il aurait découvert jusqu’à la terre qui ne serait ronde mais qui aurait la forme d’une immense saucisse !!! Il y a dans la présentation de ce savant et dans toutes les prétendues querelles qui tournent autour de lui une critique rigoureuse, drôle et amusée de cette sorte de religion qui s’est emparé du 19e siècle et a influence une grande partie de notre 20e siècle, à savoir que la Science c’est TOUT ; et que les savants sont en quelque sorte devenus les grands prêtres de notre société qui, abandonnant l’obscurantisme des religions du passé, s’est adonnée avec la même volupté et le même renoncement de toute sa volonté à un autre sectarisme tout aussi dangereux.
On boit vraiment du petit lait à lire toutes ces notes, certaines étant plus importantes que le roman lui-même ; quelles trouvailles que l’étalage de toutes ces querelles dont De Selby aurait été l’objet de la part de commentateurs tout aussi obscurs et fictifs que le savant lui-même ! On se divertit au sens le plus fort du terme à la lecture de toutes les aventures dont il a été victime (jusqu’à confondre hommes et femmes !)
Il y a dans l’évocation de ce savant un second roman qui fait le pendant du premier, qui tente de relater les aventures de notre héros (il ne se souviendra même pas de son nom !)
Malgré une apparence de totale désinvolture, il y a dans tout ce texte une très solide construction : à la lecture parallèle que l’on peut faire entre les « deux » romans, les deux se suscitant et interagissant, il y a le cheminement des deux principaux héros, celui sans nom et le gendarme principal ; et de la même façon que celui sans nom ne saurait justifier ses actions sans qu’il y ait référence à son savant, de la même façon le gendarme n’agit que par référence à son collègue celui qui a trouvé la carte mystérieuse qui amène à l’au-delà.
On s’en doutait, mais on en a la confirmation réalisée de façon magistrale : se lancer dans une aventure, en racontant des faits complètement irréels ne peut réussir que si on maltraite la temps : la notion de durée délimitée par des points de repère aussi précis qu’heures et jours échappe à l’action ; et même si par commodité, pour mieux faire avancer l’action, l’auteur fixe à trois jours le délai accordé à notre héros avant qu’il ne soit pendu, c’est par pure convention dont le lecteur n’est pas dupe !
On s’amusera aussi de toute cette fantaisie créatrice qui parcourt ce roman ; et selon que vous serez ou non cycliste convaincu vous admirerez par exemple, la part important consacrée à la bicyclette, et les comparaisons toute féminines dont elle sera l’objet.
Quant au titre … eh Mister Green, n’auriez-vous pas été quelque peu tenté de le copier ?
Un très grand roman d’un très grand romancier qu’on a comparé à Joyce, ce qui n’est pas le moindre des éloges !