26 Décembre 2014
Fallait-il y être ? En tout cas si vous êtes habitants de Saint-Malo, c'était pour vous un de ces événements qui marquent une vie (et je n'exagère absolument pas!). Ce jour de grâce (comme l'on écrivait autrefois dans les anciennes chroniques), de l'an 2014 était inaugurée la nouvelle médiathèque de Saint-Malo, si justement nommée la Passerelle parce qu'elle en a la forme, et que dans un pays de marins, on sait l'importance que revêt un tel endroit dans un navire.
Mais j'aime à y voir aussi tous les symboles qu'un tel nom peut suggérer : le premier étant bien celui géographique qu'il institue entre l'ancienne cité, toute tournée vers la mer, et le monde terrestre, représenté par la nouvelle gare toute proche ; donc, lien entre une culture marine et toutes les autres, mais lien aussi entre une culture héritée d'un passé aussi prestigieux soit-il et celle actuelle dont les bases seraient similaires (aventures dans tous les sens du mot), lien enfin politique, celui qui s'opère entre le citoyen lambda et ces individus qui détiennent le savoir et les modes d'expression qui le vulgarisent.
Il paraît que des habitants proches ont fustigé ce nouvel équipement, sa forme (laide il va de soi, sinon ces mêmes habitants l'auraient bien volontiers acceptée !) qui empêcherait l'ensoleillement de leurs appartements (récrimination officielle!) mais surtout qui causerait une moins value substantielle à leur patrimoine (raison officieuse et bien plus profonde de leur mécontentement!).
Quitte à me mettre à dos tous les conformistes de tout poil, je défendrai coûte que coûte une telle architecture (on ne peut pas défendre à Paris, l'esthétique de la Fondation Vuiton, et rejeter à Saint-Malo celle de La Passerelle!)
Esthétique, serait-ce un de ces nouveaux gros mots sur lesquels nos populistes jetteraient l'anathème au prétexte que cela leur demanderait un travail de réflexion trop intense ?
Pourtant … il faut d'abord considérer cette place : et pourquoi ne pas l'envisager comme un narthex, à l'instar de celui des anciennes cathédrales, lieu de transition entre un état antérieur (celui de l'obscurantisme) et celui du renouveau où tout devient lumineux, par la vertu du savoir ? L'image me plaît d'autant plus qu'il y a architecturalement une espèce d'absorption de ces deux états, une fusion quasi organique que les deux bouts matérialisent.
Il faut aussi examiner attentivement ces jeux de miroirs auxquels se prêtent les surfaces murales. Quelle est donc l'utilité du miroir, si ce n'est de nous renvoyer notre propre image, nous permettant ainsi éventuellement de la corriger ? Les façades de ces immeubles qui se reflètent ne sont pas là pour seulement faire joli ! Ce serait trop facile ! N'y-a-t-il pas un autre lien tout aussi fort et tout autant symbolique : il y a interpénétration entre les habitants qui se cachent derrière ces façades, et les outils culturels qu'abrite cette nouvelle médiathèque. Derrière cette notion de passerelle se cache encore plus celle de passeur ! La meilleure preuve nous en donnée par toutes les citations que nous livre un des murs extérieurs (une pensée émue pour cette évocation de Lamartine ! On s'en souviendrait encore ?)
Rentre-t-on donc dans un temple ?
Si oui, alors la notion de sacré, de silence imposé, fait place à une volonté évidente de partage, enrichissement individuel qui ne trouve sa conclusion et son aboutissement que dans la communication avec autrui. On a l'impression de rentrer dans une espèce de ruche. Tous les usagers, lecteurs réels, ou seulement potentiels se mélangent dans cet immense couloir : tout est organisé autour de cet impressionnant axe central qui courre sur toute la longueur ; ne le divisent que ces rangées de rayonnages où sont disposés par genre et discipline les documents. Et tout à coup une autre évidence : la convivialité (condition sine qua non du partage librement consenti et librement accepté) :
de temps à autre, entre deux rayonnages, des chauffeuses, qui permettent à l'usager de lire dans les meilleures conditions ; suffisamment espacés, et délimités aussi par les rayonnages, ces lieux facilitent les échanges sans que les lecteurs individuels ne puissent en souffrir.
On appréciera aussi l'espace enfants ; délimité par ce qui ressemble à des faux tuyaux d'orgue, (ce qui permet aussi à l'utilisateur de faire travailler son imagination !!!), il s'en dégage une chaleur qui devrait très rapidement séduire le public malouin -et pas seulement !-
Toujours dans l'évolution normale des bibliothèques, puis des médiathèques, des espaces plus propices au « travail » à partir de documents, que ce soient ceux empruntés, ou même, pourquoi pas, ceux apportés de l'extérieur ; on pense inéluctablement à ces écoliers ou lycéens, et aussi étudiants qui viendraient profiter de ce lieu, comme une prolongation du CDI (Centre de documentation et d'Information) de leur établissement scolaire ;
il ne s'agit pas d'une concurrence entre ces deux types de structure, mais bien plus d'une complémentarité toute naturelle. On pourrait même penser à une osmose entre les deux, puisque dans cette nouvelle médiathèque on retrouve des salles isolées du reste de la structure permettant des travaux ou activités collectives (disposition que l'on retrouve aussi dans nombre de CDI).
Le succès devrait être au rendez-vous ; du reste, si j'en crois l'impressionnante file qui s'étirait le long de la banque de prêt, ce mardi 30 décembre, il l'est.
Les utilisateurs devraient aussi trouver leur compte, si l'on en juge par ces quelques chiffres : 80000 documents constituent son fonds, dont 3000 CD, et plus de 300 abonnements à des magazines, revues et autres journaux.
Subsistent quelques petit problèmes, avec des scènes croustillantes : un monsieur, déjà ancien, essayant chaque panneau vitré dans l'attente de trouver une porte de sortie (il est vrai qu'une indication signalant les issues de sortie, ne serait-ce que pour les distinguer des entrées, ne serait pas de trop!). Plus gênante, me semble-t-il, cette absence de signalétique sur les rayonnages, qui ne mentionnent pas les côtes que l'on retrouve sur les documents desdits rayonnages ;
c'est ainsi par exemple, que toutes les littératures de tous les temps se retrouvent, ce qui est normal, dans la multitude des rayonnages « littérature », mais comme on ne sait pas où commence chacune des littératures, cela risque de poser quelques difficultés pour trouver l'auteur désiré.
Mais ce ne sont là que broutilles, qui seront très rapidement corrigées à l'usage !
On notera enfin ce qui me semble être un progrès : la médiathèque sera ouverte le dimanche après-midi. Il semble malheureusement que cette avancée indiscutable pour l'utilisateur ne le soit pas pour le personnel qui ne disposerait pas de compensations, comme tous les travailleurs dans cette situation... Cet éloge que je fais de l'ouverture de la médiathèque le dimanche, ne doit pas être opposé à la critique fondamentale que je fais du travail le dimanche : le dimanche en tant que jour férié doit pouvoir permettre à celui qui travaille le reste de la semaine, de pouvoir se cultiver comme bon lui semble, et donc de profiter de tous les espaces culturels possibles : ce qui est vrai pour le cinéma, le théâtre doit donc l'être aussi pour les médiathèques et autres bibliothèques. Les ouvertures des autres négoces (dont profiteraient essentiellement les grandes surfaces), ne pourraient être que dommageables pour ces moments privilégiés de culture … et comme chacun sait, l'homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais aussi de …
De plus, déjà en sous-effectif avec 31 personnes, la médiathèque ne peut être ouverte au public que 25 heures par semaine !
Mais comme m'avouait une bibliothécaire, on aime tellement notre métier qu'on passe sur tous ces inconvénients … j'admire, certes, mais comme il serait dommage que les responsables politiques misent sur cet amour du métier, pour ne pas satisfaire le minimum des aspirations des personnels, correspondant, qui plus est, à une véritable mission du service public de la lecture, cette dernière devant être prise au sens le plus large possible : le visionnement d'un film ou l'écoute d'un CD pouvant être largement assimilée quant à son objet à la lecture d'un document écrit.
Alors, comme on dit dans les pays marins, « Bon vent » à ce nouvel équipement !