Gaetano Cappelli : L’irrésistible ascension du vin Aglianico à travers le monde
Ricardo Fusco, un universitaire qui a raté sa carrière tandis que sa femme Eleonora réussit, à la cinquantaine, une percée dans le monde du théâtre et le trompe avec de beaux jeunes acteurs. Mais Ricardo va trouver l’occasion de se venger en retrouvant deux anciens condisciples, un peintre, Djàcendre, et surtout le très riche industriel Grazantonio dell’Arco qui va le charger de lancer sur le plan international un vin de sa Basilique natale, l’Aglianico. Et comme par hasard, Ricardo va retrouver une ancienne maîtresse américaine, Chatryn, qui est devenue une des œnologues les plus écoutées au monde !
Quelle trame et surtout quel roman !
Original à plus d’un titre !
D’abord par sa construction ; ne cherchez pas de chapitres ; ce roman se compose de trois grandes parties, chacune étant subdivisée en de minuscules fragments annoncés par un très court titre en italique ; résumé de quelques mots, ils balisent ainsi le récit et permettent au lecteur d’avancer aussi sûrement que dans les canaux de la lagune vénitienne (très mauvaise comparaison puis qu’une grande partie se situe dans la Basilicate une des régions du Sud de l’Italie !).
Mais on en a vraiment besoin de ces balises car l’auteur nous régale d’histoires absolument savoureuses (ce qui fait aussi toute l’originalité de ce roman). Une seule comparaison qui vient immédiatement à l’esprit, ce parallèle frappant avec les romans picaresques : on est en présence d’une vitalité d’invention, d’une création de situations auxquelles on n’aurait pas un instant pensé, et chaque fois on se laisse prendre à toutes ces diversions apparentes dont le lien avec l’histoire de Ricardo n’est que très tenu.
Jugez plutôt : comment les ancêtres de Grazantonio ont fait fortune ; le coup de bluff avec lequel il a revendu à de naïfs paysans des terrains pleins de gaz ! ou encore comme cet autre aïeul a réussi, au début du 19e siècle, à tromper un redoutable brigand napolitain s’appropriant tout son butin…ou encore toute l’épopée en Union soviétique…
Bref ces histoires qui viennent interférer avec la propre situation de Ricardo ont aussi d’autres mérites dont celui de nous éclairer de façon très humoristique sur nombre de travers de notre société : la vanité outrecuidante des nouveaux riches et la morgue impérissable des anciens nobles à l’irrésistible déclin ; mais aussi sur tous ces mondes qui gravitent autour d’eux, la vile prétention des courtisans, toute cette micro société qui est prête à toutes les compromissions pour pouvoir bénéficier des quelques avantages matériels qu’ils ne sauraient pouvoir se procurer autrement ! Les flèches sont décochées un peu dans toutes les directions avec un égal bonheur, même si cela doit faire mal à nos propres convictions, regardez la roublardise de ce dirigeant syndical ou encore les roueries et vacheries des responsables communistes en Union Soviétique.
Satires très fortes qui rejoignent aussi celles tout aussi violentes sur l’intimité des êtres humains : ces femmes – mais aussi ces hommes – qui, à la cinquantaine passée, veulent continuer à avoir été, alors qu’elles (ils) ne peuvent qu’avoir du mal à être tout simplement ! Délicieuses sont toutes ces remarques sur Eleonora et ses jeunes amants, ou encore toute l’histoire et les retrouvailles de Ricardo avec Chatryn … Ou encore ces ambitions professionnelles jamais réalisées et qui alimentent une frustration toujours renouvelée. Un véritable régal.
Facile, objecterez-vous…
Certes mais avec ce détail d’énorme importance (est-ce encore un détail à ce niveau là ou fais-je dans l’oxymore facile ?) : la langue. Laissons ce regret de ne pas avoir lu ce roman en Italien, mais de m’être contenté d’une traduction ; mais on peut quand même se rendre compte de la richesse et de la complexité de l’écriture de Gaetano Cappelli : souvent de longues phrases, assez emberlificotées, et dont on a du mal à saisir à la première lecture tout le sens, ce qui oblige à y faire un peu plus attention (Elle a du s’amuser la traductrice !). Et ce qui pourrait sembler un défaut devient alors une nécessité – et tant pis si le lecteur doit en souffrir ! -, car il nous force à nous pencher un peu plus sur toutes ces histoires et donc à en admirer encore plus toute la saveur.
Décidément la littérature italienne est toujours aussi vivante et tellement riche !
PS Editions Métailié, 2010, 202 p., 17Euros