EONTOS

Joseph Incardona : par delà le sauna,une vie grouillante !

Joseph Incardona : Chaleur

 

Dans la Finlande profonde où l'on s'ennuie beaucoup, a été créée une curieuse manifestation, le championnat du monde du sauna : il s'agit de rester le plus longtemps possible dans des pièces d'un sauna chauffées à 110° ; évidemment celui qui gagne, c'est celui qui sort en dernier. Ce concours a eu lieu pour la dernière fois en 2010 et s'est terminé par une tragédie, avec la mort d'un deux finalistes, un russe.

L'auteur s'est servi de ce fait divers pour bâtir son roman. Il a changé, selon ce qu'il écrit dans une note à la fin de l'ouvrage, les protagonistes, et quelques circonstances, comme le règlement du championnat. Il en résulte un roman, quelque peu déconcertant.

Déconcertants ? Les personnages principaux, c'est-à-dire les finalistes. Hors normes – et comment ne le serait-on pas, lorsqu'il s'agit de concourir pour une telle futilité ? - ils le sont, comme est le choix que l'auteur a fait du statut social qu'il leur accorde : on est peu accoutumé à ce que de tels personnages deviennent des héros de roman ! Que restera-t-il de ce lien entre une réalité sordide, une référence à des faits tellement marginaux et la pérennité de l’œuvre d'art ? Seulement artifices pour intéresser un peu plus le lecteur contemporain devenu familier de ces faits de société, ou avides de faits divers les plus insolites ou en tout cas rarissimes ? Ou seulement procédés pour déboucher sur … ? Allez savoir ?

Prenez le concurrent finlandais, Niko Tanner : qu'est-il dans le civil ? Star masculine (1) porno ; et avec tous les clichés ! Que ce soient les nanas qui lui tombent toutes dans les bras, et qui, pour ce faire, sont prêtes à tous les subterfuges (comme prétendre être journaliste), ou que ce soit ce monde souvent associé au porno, celui de l'alcool et de la drogue. S'il n'y avait eu que ces passages, alors, oui, je m'en serais vite lassé au point, sans doute, d'abandonner ce roman. Pourtant, encore une fois l'expérience m'aura donné raison : même au milieu de ce qui pourrait être insupportable, on arrive à trouver quelques éléments narratifs ou réflexifs qui retiennent l'attention : comme par exemple, derrière cette simulation parfaitement maîtrisée et donc réussie de l'acte amoureux, est tout à coup mise en évidence une toute autre réalité qui est diamétralement opposée, l'aspiration à l'essence même de l'amour : l'acteur porno et son double féminin, Loviisa ne connaissant en définitive et ne recherchant que l'amour qu'entre eux deux, et seulement entre eux deux seuls !

Le concurrent russe, Igor, mérite aussi toute notre attention ; ce n'est pas le premier imbécile venu : sous-marinier nucléaire, ayant connu des situations désespérées, il a aussi vécu une tragédie familiale en perdant sa femme. Mais voilà par une coïncidence que les romanciers savent trouver, ce héros est frappé d'un cancer incurable, parce que décelé trop tardivement ; et l'on apprend très rapidement que ce sera sa dernière participation à ce championnat, qu'il n'a jamais remporté, ayant été toujours battu en finale par le finlandais. Que vient-il donc chercher dans ce concours aussi stupide ? Une espèce de rédemption, finir en  «  beauté » sa vie, ne serait-ce que pour prouver à sa fille, qui, comme de juste, assistera à sa mort, qu'il n'est pas seulement le « salaud » qu'il lui a semblé être.

Et c'est à ce niveau de lecture que ce roman, malgré tous ces aspects superficiels devient intéressants : car, si vous ne gardez stricto sensu que ce que vos yeux lisent, alors, oui, vous risquez un mortel ennui, par contre il faut absolument lire entre les lignes, et tenter de deviner ce que les personnages mis ainsi en situation peuvent signifier.

J'aime ce Révérend (sans pour autant m'assimiler à lui !), qui, victime de sa lubricité, tente le défi de ce championnat pour provoquer intellectuellement ce Dieu qu'il est pourtant censé servir ; il y a un côté dostoïevskien dans ce personnage ! Karamazov est tout proche.

J'aime ce Niko (sans pour autant m'assimiler à lui ! - bis) : de la même façon qu'il veut repousser ses limites en ayant dans tant et tant de films porno le plus grand nombre de partenaires, de la même façon il entend obliger son corps à dépasser ce que les seules lois physiques imposent.

J'aime aussi Igor : caricature de l'homo sovieticus ? Mais avant, n'y-a-t-il pas eu l'homme Russe ? J'ai parlé plus haut de rédemption, mais que signifie-t-elle en réalité pour lui ? Si ce n'est réussir à trouver enfin une adéquation entre un de ses actes, en l'occurrence le dernier, et ce qu'il a toujours recherché sans jamais pouvoir faire le lien.

En définitive ce qui me plaît chez ces trois hommes, c'est que même s'ils sont de parfaits représentants de systèmes totalement différents, ce sont des grands rebelles en quête de leur profonde identité.

Si vous avez en tête ces réflexions, ce second degré de lecture, vous ne lirez pas les aventures de ce roman, comme de simples anecdotes ; vous verrez alors qu'elles s'intègrent dans cette quête et qu'elles aussi prennent une toute autre dimension.

Bon, pour conclure, je ne fais pas de ce roman le chef d’œuvre impérissable, et ce n'est sûrement pas celui que j’emmènerai sur une île déserte ; mais une fois vaincues les premières réticences, face à la description de faits de société qui ne m'intéressent guère, j'avoue que j'ai pris à la lecture de cet ouvrage un certain plaisir.

 

 

-1 j'aime beaucoup quand par les hasards de la langue, le masculin devient féminin ! Cette figure de style porte un nom, mais je l'ai oublié, et je suis persuadé qu'il ne manquera pas un de mes lecteurs qui saura me la rappeler !

 

PS Editions Finitude, 2016, 147 p., 15,60€

 

Pierre Guyotat ou l'éloge du cloaque !

Pierre Guyotat : Eden Eden Eden

 

Un livre dont les premiers mots semblent être le prolongement d'une phrase … et un livre constitué d'une seule phrase qui se déroule sur 270 pages, et s'achève sans que cette même phrase se termine, étrange, Non ? D'autant que le fond … aucune histoire encore moins d'intrigue, quelques personnages dont on ne sait absolument rien, des actions limitées à un seul domaine, et quel domaine !

Le sexe, toujours le sexe et encore le sexe !

Je n'ai jamais rien lu d'aussi déprimant et immonde.

Vous me direz que rien ne m'obligeait à aller jusqu'au bout de ce récit ; certes, mais je suis ainsi fait, que je n'arrive jamais à me résoudre à abandonner un livre en cours de lecture. J'ai donc assumé de passer quelques heures dans la plus profonde des nausées « m'émerveillant » de deux seules choses : la capacité d'un auteur (le mot est sans nul doute trop fort, mais comment qualifier autrement quelqu'un qui écrit, fait ou réalise ?) à réemployer de très nombreuses fois les quelques très rares situations, les mêmes mots, les plus vulgaires soient-ils ; la capacité par ailleurs à poursuivre le même élan, alors qu'il tourne constamment en rond, en faisant en sorte que la seule phrase non commencée et ni achevée puisse avoir le même degré d'intensité que le mouvement perpétuel.

Je dois bien avouer que pour arriver à ne m'intéresser qu'à ce seul et dernier aspect, et ne pas tomber dans le plus abject des écœurements, il m'a fallu trouver un mode de lecture fort judicieux en la circonstance, mais qui pourrait se révéler dangereux, appliqué comme méthode universelle ; j'ai fait en sorte de lire ce livre comme s'il était écrit en une langue étrangère dont je ne connaîtrais aucun mot.

Et ainsi je suis arrivé à la fin de ce récit (j'avoue que je n'ai pas encore trouvé de mot pour qualifier ces 270 pages !) En commençant ce livre, j'avais voulu respecter l'ordre donné par l'éditeur et certainement avec le consentement de l'auteur, mettre en une espèce de postface les trois préfaces que trois grands intellectuels de l'époque avaient signées lors de la première impression.

J'étais donc fort curieux de savoir ce qu' avaient pu tirer et dire de ce texte ces trois grands esprits pour lesquels j'ai toujours eu beaucoup d'admiration, Michel Leiris, Roland Barthes et Philippe Sollers. J'ai commencé par ce dernier ; j'ai sans doute bien compris toutes les justifications qu'il donne à ce récit, pourtant elles ne m'ont pas convaincu : elles m'ont semblé trop intellectuelles (comment peut-on être intellectuel lorsqu'il s'agit du sexe considéré comme purement instinctif ?) ; renvoyer à Sade, bien sûr, mais justifier Sade par ce texte et vice-versa m'est apparu trop artificiel, voire jésuite (je sens déjà les flammes de l'inquisition s'attaquant à eontos !) ; ne parlons pas de l'évocation des luttes de classes : j'avoue avoir cherché dans le texte de Guyotat la possibilité d'un quelconque lien entre ses fantasmes et cette notion élémentaire du marxisme, mais vainement, pire, il me semble que la façon dont les êtres sont traités ressort bien plus de la domination que de l'émancipation !

Je me souviens bien de Roland Barthes pour ce fragment amoureux qu'il a écrit, et que Luciano Berio a mis remarquablement en musique, pour un petit chœur à 8 voix, sous le titre de « A-ronne ». J'étais donc intrigué pour ce qu'il avait pu écrire en 1970. J'avoue avoir été profondément déçu pour la défense qu'il fait de ce texte. Pour lui, il n'y a pas d'alternative possible, ou on adopte et encense ce texte comme étant révolutionnaire parce qu'initiateur d'une nouvelle façon de penser, ou alors on devient un censeur qu'il faut démasquer … était-ce là le Roland Barthes qui avait suscité tant d'admiration en moi ? Non, tant pis ; quitte à être taxé de minus habens et ne rien comprendre à l'évolution du langage, je préfère me ranger du côté des censeurs pour un texte qui est à l'opposé du plaisir qu'on peut prétendre tirer d'une œuvre d'art, y compris littéraire.

Restait donc le troisième écrit, celui de Michel Leiris ; c'est celui que je préfère des trois, parce qu'il tente de comprendre ce texte, même si on ne partage pas son analyse, et en particulier cette poésie qu'il entend y trouver.

Quoi qu'en dissent ses défenseurs et autres zélateurs, pour moi le texte de Pierre Guyotat est synonyme de contre littérature, dans ce sens où non seulement il n'apporte rien en termes d'esthétique à celui qui le lit, mais qui, pis est, confine le rôle de l’œuvre d'art à la seule description non émotive des plus bas instincts.

 

PS Editions Gallimard, 1995, 280 p.

 

Adam Thirlwell : entre ironie, dérision et absurde

Adam Thirlwell : Candide et lubrique

 

Etrange univers dont aussi bien la couverture que la quatrième de couverture ne donnent qu'un très léger aperçu, leur mérite étant, et c'est bien ce que l'éditeur comme l'auteur souhaitent, de susciter la curiosité du futur lecteur.

Et on est vraiment servi ! Dès le tout début par cette histoire, sans nul doute vraisemblable, mais pour le moins cocasse : qu'un jeune homme, de bonne famille, comme on le verra par la suite, marié de surcroît, se retrouve dans une chambre d'hôtel à côté d'une amie qui baigne dans son sang et dans ses vomissures. Evidemment, comme ce n'est pas tout à fait ce à quoi vous vous attendiez, vous vous apprêtez à fermer ce roman, et à passer à d'autres lectures bien plus conformes à vos aspirations … certes, mais sans compter sur cette espèce de charme dont l'auteur fait preuve. Charmeur non par la situation qu'il décrit mais bien par toutes les considérations dans lesquelles le héros se laisse entraîner.

Et il en sera ainsi tout le long de ce roman : on va aller de clubs échangistes à bar avec hôtesses, et comme cela ne suffira pas, on va prolonger dans l'interdit, vols avec armes factices. Mais à chaque événement propre à vous choquer, ou tout au moins à indisposer le brave citoyen et l'honnête homme que vous êtes, va correspondre toute une batterie de digressions psycho-socio-philosophiques dont vous ne pourrez sortir car, sans même les approuver sur le fond, elles vont vous intriguer tant est grand leur aspect farfelu, ou tout au moins non conventionnel.

Etrange, oui, cet univers qui se déroule sur deux niveaux bien distincts : celui de la narration des faits qui n'ont rien de tellement original ; depuis le Satyricon de Petrone jusqu'aux 50 nuances de Grey, la littérature n'a rien eu à envier à la réalité, et le lecteur averti de toute la littérature érotique ne décèlera rien de nouveau dans toutes les situations de sexe que nous propose l'auteur. Et à dire vrai, s'il n'y avait qu'elles, nul doute que le roman ne vaudrait pas une pichenette et ne saurait intéresser qui que ce soit.

Mais il y a tout le reste, à commencer par l'histoire du héros : jeune homme comblé, choyé avec une mère qui non seulement le dorlote mais lui fait croire qu'il n'y a pas deux êtres comme lui. Héros intimement convaincu que tout lui est dû, et donc permis aussi ; si, de soumis qu'il a été, et parce que cela lui convenait très bien, à sa mère, il entend se comporter de la même façon avec les autres femmes qu'il va croiser sur son chemin : sa femme, certes, mais aussi Romy et puis Dolores, qui ne pourront que se soumettre à tous ses caprices. Il reprend facilement à son compte les propos de Garp, le Héros d'Irving « femme certes mais aussi putain ».

Sa relation avec les contingences matérielles sont tout aussi irréelles ; ce n'est pas à lui à se plier à elles, mais l'inverse : finies donc les contraintes du travail, finis donc aussi ces rythmes qui marquent une vie bien organisée. Alors le nerf de la guerre (pour lui nécessaire à s'offrir toutes ces fantaisies et lubies d'oisif), autant aller le chercher là où il se trouve ; et c'est le braquage minable d'un salon de manucure ou d'un bar quelconque.

On voit parfaitement où une telle dérive de la pensée peut amener : une série d'interrogations sur lui en tant qu'être, sur sa place dans la société, mais aussi dans l'espace et dans le temps. On sera surpris alors de toutes les pistes de réflexions que l'auteur va nous présenter … d'autant que pour mieux se faire comprendre, l'écrivain va se servir de comparaison avec les avions ou les hôtesses de l'air, par exemple.

Que faudra-t-il retenir de tout ce fatras qui nous est offert ?

Une philosophie tout en contraste, ou plus exactement qui fait la part belle à tout ce qui est n'est pas commun, à tout ce qui est incatalogable, ou marginal (il n'est que de voir la place qu'occupe la drogue tout le long de ces pages) ; une réflexion en dehors de toute lien social, et qui ne s'occupe que de l'homme et de ses aspirations, les plus animales soient-elles.

En tout cas un immense talent, car il n'était absolument pas évident qu'avec de telles situations l'on puisse s'intéresser un tant soit peu à toutes les élucubrations du héros ; et pourtant on reste « scotché » à ce roman, non que l'on espère un quelconque amendement du héros, c'est-à-dire une prise de conscience qui le ferait rentrer dans le giron de la société, mais bien parce que l'on se demande jusqu'où il va pourvoir arriver dans ce nombrilisme …

D'autant que très rapidement on va s'apercevoir que derrière cet amas de mots, de phrases, ce galimatias où tout se mêle, de la psychologie de bazar à la philosophie d'adolescents encore boutonneux en passant par la sociologie de bistrot ou les considérations de journaux à sensation, eh bien derrière tout cela, et parce qu'il y a aussi tout cela, se cache une ironie mordante, féroce même sur tous les grands sujets qui peuvent parcourir notre société ; un thème aussi vieux que le monde, l'amour : comment être amoureux de sa femme tout en désirant et possédant tant d'autres femmes ? Ou encore la notion de travail ? Regardez comme il les traite ! Ironie, dérision jusqu'à la désespérance totale où l'homme n'a plus vraiment sa place. Et c'est bien le sens final qu'il faut donner à la mort de notre héros.

Au demeurant, est-ce vraiment un roman indispensable ? Et la littérature gagne-t-elle vraiment à ce genre d'ouvrage ? Rien n'est moins sur, et pourtant, facétie purement intellectuelle on ne peut s'empêcher de penser à la phrase de Saint Augustin, « Credo quia absurdum est ! (je crois parce que c'est absurde!)»

 

 Editions de l'Olivier, 2016, 396 p., 23€

 

Boris Quercia : Tant de chiens

Santiago Quinones, policier à Santiago du Chili, va se trouver impliqué dans une très sombre histoire et ce bien malgré lui. Dans une opération qui a opposé des narcotrafiquants à la police, un de ses amis, Jimenez, est tué. Quinones va découvrir que son ami était mêlé à des histoires tellement peu claires qu'il avait été muté d'office par la hiérarchie.

Intrigué, notre héros, va chercher en savoir plus … la simple curiosité va l'amener à croiser le chemin du grand banditisme et de la grande délinquance dans laquelle se trouvent impliqués des notables et des personnages politiques et policiers très importants.

Vous dire que j'ai aimé ce roman serait sans nul doute exagéré !

J'ai vraiment eu l'impression tout le long de cette lecture de me replonger dans ces romans d'espionnage ou policier de l'immédiat après-guerre (je parle de la seconde!) ; romans dont se délectait mon grand-père et dont je me suis emparé bien après !

Romans bâtis tous plus ou moins sur le même moule et avec les mêmes recettes. A commencer par les héros qui se devaient d'avoir le plus de défauts possibles, comme pour bien montrer pour être héros, on n'en était pas moins homme ! (on me pardonnera ce pastiche, mais je n'ai pu y résister !) Alors notre Quinones va nous montrer qu'il sait ce que boire veut dire, et qu'il est capable de supporter tout alcool fort. Il en est de même avec la drogue, mais je ne suis pas sûr que les pages consacrées à des nuits de « défonce » satisferont tous les lecteurs ! Quant aux femmes … oh certes, il n'est pas le Don Juan, tombeur de chaque femme rencontrée à chaque page, et pour cause puisqu'il est marié ; mais enfin avec sa femme cela ne va pas fort, et un cliché de plus, au bout de quelques années de mariage, ce serait normal, l'habitude devient vite lassitude ! Alors heureusement pour lui, il y a une collègue d'un service proche du sien ! Je ne sais si c'est un cliché, mais cela en devient un sous la plume de Quercia ; et puis il y a surtout cette Yesenia, rencontrée pour les besoins de l'enquête, qui se trouve être une ancienne amie d'enfance ( par contre là, on n'a pas coupé à ce cliché, l'amie d'enfance qui revient toujours à point comme moteur de l'action !)

Que retenir donc de ce roman ?

Deux ou trois grande choses, mais guère plus ! D'abord cet éloge de l'amitié ! C'est par amitié  que Quinones se lance dans cette enquête, mais s'il réussit c'est grâce aussi à l'amitié d'un de ses collègues qui sera prêt à prendre beaucoup de risques pour que Quinones réussisse. Intéressante cette notion, puis qu'elle se joue des carcans et des contraintes que des codes de bonne conduite (surtout lorsqu'il s'agit de représentants des forces de l'ordre. Nus retrouvons cette même apologie de l'amitié en ce qui concerne les femmes, et cela peut s'appeler aussi de l'amour. Même s'il y a de l'eau dans le gaz (j'aime beaucoup cette expression triviale qui me semble particulièrement adaptée lorsqu'il s'agit d'un certain type de relation entre hommes et femmes ou entre femmes et hommes) dans le couple de Quinones, au point qu'ils en arrivent à se séparer, voire à se haïr, on est très agréablement surpris qu'à la fin du roman, ils arrivent à la fin du roman à se rapprocher de nouveau. C'est une des trouvailles de ce roman, en tout cas pour moi, et j'aurais été malhonnête de ne pas la souligner.

L'autre grande leçon de ce roman, on la tire de la trame même. Apologie (un autre mot serait-il mieux convenir) de ces « héros » qui se lancent dans une bagarre impossible pour démasquer des corrompus et autres malfaisants, et les livrer à la justice et donc à la vindicte populaire … même si notre héros encaisse coup sur coup, on est sûr (et c'est la loi du genre qu'a choisi le romancier) qu'à la fin il va gagner ! Attendrez, attendez, vous n'avez pas lu le roman, moi oui ! Alors ce n'est pas si simple, et le romancier va redécouvrir ce phénomène que notre troisième République a inauguré et qui va marquer toutes nos sociétés contemporaines (des démocratiques aux plus tyranniques), le lampisme ! Car, certes les coupables vont être identifiés, mais ils sauront se débrouiller pour rester impunis, d'autres, moins bien placés qu'eux, payant pour eux !

Mais ce qui m'a sans doute le plus gêné, c'est que ce roman est bâti à coups de grosses ficelles, de celles que l'on retrouve dans la littérature mentionnée plus haut ! Il n'y a aucune surprise, et l'attention du lecteur moyen se relâche … dommage !

Roman donc banal comme il en paraît chaque année des centaines dans toutes les littératures, et ce n'est pas parce qu'il est écrit par un romancier qui monte au Chili, que la trame en serait pour autant géniale ! Mais à vrai dire, dans le genre et pour les « buts » de dénonciation qu'il se propose, je préfère et de beaucoup les romans de San Antonio (qui se souvient, hélas !, encore de lui ?), pleins de fantaisie, d'humour, d'ironie, d'ambiance franchouillarde !

PS Editions Asphalte,2015, 199 p., 21€

 

Guillaume Apollinaire : enfer et littérature …

 

Eh bien non, je ne ferai aucune référence à l'illustrissime Dante, même si j'en ai une très grande envie ! De même que les doigts me démangent de mentionner un certain Sartre, avec « L'enfer, c'est les autres », mais s'il y avait à citer Sartre, ce serait en liaison avec Michel Onfray qui vient de déclarer publiquement que désormais, il ne voterait plus, puisque cela ne change à rien, malgré les belles promesses faites en campagne (1)

Non … en matière de boutade, je pense, un ami m'a conseillé la lecture d'un roman érotique de Guillaume Apollinaire « Les onze mille verges » ; et venant d'un ami très sérieux, je n'ai pu faire autrement que de me procurer ce roman, même si le titre me laissait entrevoir des pages particulièrement salées … mais la lecture m'a dévoilé bien au-delà de ce que je pouvais imaginer. En comparaison, « les cinquante nuances de gris » de l'américaine E.L. James seraient un catalogue de pruderies pour religieuses patentées, c'est dire ! Je ne crois pas avoir lu dans toute ma vie une telle succession de cochonneries ; il me semble même que la « Fée des aulnes » de Bukowski (je crois) ne tape pas aussi fort.

C'est donc fait, et vous voilà prévenus, si vous voulez vous faire par vous-mêmes une idée de ce qu'un auteur du début du 20ème siècle pouvait penser et écrire comme cochonneries, libre à vous, mais après n'allez pas vous étonner si au bout de la dixième page, sur près de cent trente, vous avez une inextinguible nausée. (Décidément Sartre me poursuit !)

Le préfacier vous met la puce à l'oreille en déclarant que cet opuscule dépasse même le Marquis de Sade.

Pourquoi donc mentionner ce roman ?

C'est tout simple, et je reprends ce roman « La Fée des aulnes » ; je me souviens que, responsable d'un CDI, je l'avais acheté, à la demande d'un collègue de lettres, pour notre bibliothèque (ouverte bien sûr à toute la communauté scolaire et donc aux lycéens) ; j'en ignorais bien évidemment tout le contenu, mais lorsque je l'ai feuilleté et que j'en ai vu la teneur, je l'ai immédiatement mis de côté et dans un rayon de moi seul accessible, puisque fermé à clef ; je n'osais imaginer la tête des parents d'un élève de seconde, par exemple, tombant sur ce roman ! C'était un coup à avoir les deux fédérations de parents d'élèves sur le dos, sans oublier mon administration propre qui se serait fait un devoir de me sanctionner…

Je venais donc, par sagesse, de remettre en service ce que les abbayes bénédictines (et pas seulement bénédictines) avaient instauré au moyen-âge : l'enfer ! Au cours des trente années que j'ai du passer dans cet établissement scolaire, ce fonds « infernal » a du s'enrichir d'une petite vingtaine de romans … et si l'on m'avait fait acheter « les Onze mille verges » de Guillaume Apollinaire, nul doute qu'il y aurait eu une place privilégiée.

Reste la question de fond : justifier d'un enfer, n'est-ce pas protéger en quelque sorte les lecteurs fragiles d'une œuvre difficile (à tous points de vue) d'accès ? Et n'est-ce donc pas douter et de leurs capacités de critiques et de la formation intellectuelle que mes collègues enseignants étaient en train de leur dispenser ? En d'autres termes, est-ce que je ne me comportais en un infâme réac ? J'avoue que je n'ai jamais pu résoudre cette question : il ne s'agissait pas de protéger une « innocence » (car je ne me faisais guère d'illusions sur cette prétendue innocence de nos lycéens !!!), non, je craignais seulement que la lecture de ce roman ne leur fasse prendre pour unique vérité ces pratiques sexuelles décrites dans ce roman, alors que, me semblait-il, il devait être beaucoup plus pédagogique qu'ils les découvrent par eux-mêmes : elles prendraient alors une toute autre dimension.

Etais-je utopique ?

Qu'importe, car pour le moment me reste encore cette même question : même si ce roman est dans la partie réservée aux adultes, et qu'il est donc impossible d'établir une censure pour ce type d'usagers, est-ce que l'enfer ne se justifierait pas par le simple fait que cet type d'oeuvres échappe à tout sens esthétique et à toute notion d'oeuvre d'art (étant admis bien évidemment qu'un roman est une création artistique au même titre qu'un tableau ou qu'un quatuor à cordes !) On voit bien alors toutes les conséquences d'un tel type de raisonnement : si on accepte comme juste ce présupposé, il faut donc définir les critères qui permettent de classer les œuvres écrites par des œuvres d'art …

On approche la quadrature du cercle !

Et de fait je viens de démontrer par l'absurde qu'il ne saurait y avoir d'enfer dans nos médiathèques d'aujourd'hui …

Heureusement Guillaume Apollinaire a laissé dans la littérature française des œuvres qui honorent tellement bien son nom !

 

1-Le lien avec Sartre, c'est un remarquable article parfaitement argumenté dans la revue « Les temps Modernes » que dirigeait Sartre, et intitulé « Elections piège à c...)

 

Arnon Grunberg : Tout cru

Je chercherai très longtemps, sans réussir à le trouver, l'intérêt qu'on peut avoir à écrire et a fortiori publier une telle chose. J'utilise volontiers cette espèce de neutre, pour bien montrer le très peu d'estime dans lequel je tiens ce roman.
En quelques lignes : Roland, professeur hollandais, économiste, à la suite d'un colloque sur un nazi, part enseigner aux Etats-Unis ; il abandonne une femme, Sylvie, et son enfant, Jonathan en plus d'une toute récente maîtresse, Violette ; aux Etats-Unis il reprend contact avec Léa, une participante à ce colloque ; laquelle est mariée avec le maire de Brooklyn mais ledit maire, impuissant, va retrouver sa virilité avec un jeune postier. Pendant ce temps, la femme et la maîtresse restées en Hollande vont prendre des amants, tandis que Léa et Roland vont allègrement copuler. Durant ce séjour, Roland est aussi censé rédiger un livre incontournable sur le phénomène de la bulle en économie.
Cédant aux pression de son épouse, qui l'accuse de délaisser complètement leur fils, Roland va retourner enseigner pour un semestre dans une université hollandaise. Mais là, coup de Trafalgar, notre économiste distingué, va sévir et infliger des mauvaises notes à un étudiant dont le père finance en partie l'université, et aussi à une jeune fille Gwenny … mais il tombe dans un traquenard que lui tend cette jeune fille, en devient éperdument amoureux, et après quelques péripéties toutes plus affligeantes les unes que les autres, c'est la déchéance totale, il ne peut plus enseigner ni en Hollande, ni aux Etats-Uni ni sans doute ailleurs !
Pourquoi ce livre est-il complètement inintéressant ?
D'abord parce qu'il est glauque : je veux bien qu'on démontre l'incapacité d'un individu à s'attacher de façon humaine à un autre être humain ; je veux bien que cela se traduise par une indifférence à autrui et par un égocentrisme exagéré ; d'innombrables romans se sont attelés à cette tâche et y ont admirablement su traiter leur sujet … mais là, trop c'est trop ! Je veux bien aussi que cet individu, de surcroît intellectuel et ne vivant (à ce qu'il déclare haut et fort) que pour son travail, puisse céder à la tentation violente de la chair, mais là-aussi l'auteur en fait mille fois trop et c'est à vous en donner la nausée ! Et comment ne pas rejeter ce pseudo libertinage (comme on est à mille lieues d'un fascinant Giacomo Casanova ! -1) où la relation sexuelle n'est précédée d'aucune intention amoureuse, et où elle s'accomplit mécaniquement, un peu, pour être très cru, à la façon de nos légionnaires qui durant la guerre d'Algérie n'avait pour se « défouler » que les chèvres ou les feuilles de cactus (et ce n'est pas une légende !).
Je n'arrive pas à comprendre comment on puisse se livrer à une telle fantaisie imaginative, on est aux antipodes du processus créateur : ce qu'on peut accepter comme fantasme ne saurait à l'état brut faire l'objet de romans … à moins de vouloir écrire un traité de psychanalyse appliquée.
Je pourrais faire un effort et me dire qu'après tout, tous les goûts étant dans la nature, il faut savoir se montrer tolérant et accepter que d'autres écrivent ce que tu ne saurais faire toi-même. Certes,
Mais alors je pose une condition, c'est que l'oeuvre proposée en soit réellement une et qu'elle corresponde quand même à un certain niveau de qualité littéraire ;
Mais ici, force est de constater qu'on en est très loin. Car cru et volontairement, ce livre l'est aussi ; et les scènes de scatologie que l'auteur décrit sont propres à vous dégoûter à tout jamais de nouer la moindre relation amoureuse … Et j'ai admiré les traductrices ! Car à force de vouloir coucher sur le papier la brutalité nauséabonde de son sujet, l'auteur utilise sans aucune retenue le vocabulaire quotidien, le langage de charretier … avec y compris les mots crus qui font plutôt l'ordinaire des bordels militaires de campagne que de la relation amoureuse. Sans vouloir jouer au prude (que je ne crois pas être), il y a des mots que j'apprécie dans leur sens premier, par leur signification et ce qu'ils peuvent aussi représenter pour moi, mais qui dans leur sens second et pornographique me font horreur … comme le mot doigté qui évoque pour moi tous ces moments d'intense bonheur pianistique lorsque je notais certains doigtés propres à interpréter ces oeuvres que je chérissais entre toutes) et le voir rabaissé au sens le plus bestial … non, non et non !
Et je pourrais multiplier à l'infini ces exemples, mais à quoi bon ?
Alors un immense regret : comment une maison d'édition qui a publié et publie tant et tant de livres remarquables a-t-elle pu éditer une telle insignifiance, pour ne pas dire plus ?

1- Je ne parle pas de l'admirable film de Federico Fellini, mais bien des mémoires que Casanova a écrites et qui se lisent avec gourmandise, volupté même de la première à la dernière ligne …

PS Editions Actes Sud, 2015, 495 p., 24€

Benoît Duteurtre : L'ordinateur du Paradis

Que voilà un titre prometteur !

Normal, me direz-vous pour un goncourable ! Et ajouterez-vous, un brin malicieux, si un goncourable n'est pas capable de trouver un titre alléchant, que sera-ce (et l'on admire la forme très littéraire !) de son roman ?

Bon, je me plie à la justesse d'un tel raisonnement et me voilà  entraîné dans la pauvre aventure de Simon Laroche, qui, défuncté se retrouve dans l'autre monde. Ne croyez surtout, naïfs que vous êtes, qu'il est déjà au Paradis, ni même au purgatoire, quant à l'enfer, il y a belle lurette que les théologiens ont renoncé à en démontrer l'existence. Il est tout simplement dans une espèce d'antichambre où … fort étonnamment l'on pourrait se croire dans n'importe quel hall d'attente de n'importe quelle administration française (je dis française parce que les autres, enfin celles des autres pays, je ne les connais pas !).

C'est et ce sera, avec la conclusion, la partie la plus gouleyante et délectable du roman …

Et cela fait vraiment peu : au grand maximum, une cinquantaine de pages sur les 211 qu'il compte !

Car pour le reste !

Pour une fois essayons d'être clair.

L'auteur veut nous faire toucher du doigt l'une des grandes failles de notre système, celui de la communication et de son implication dans les relations humaines. Il va donc se servir de ce qui me semble être les lieux communs les plus rabattus qui soient en début de 21ème siècle.

D'abord, cette question épineuse d'égalité entre les femmes et les hommes.

Et ensuite le dérèglement d'internet (ou sa manipulation par de méchants humains) qui livre en pâture la vie intime des êtres, quitte à causer de très grands scandales, avec en prime le rôle des images pornographiques !

Les deux cas sont intéressants par ce qu'ils mettent en lumière nos pratiques et surtout ce en quoi elles peuvent être influencées par des éléments complètement étrangers à nous. Et il y a là vraiment de quoi faire un excellent roman (ce dont ne se sont pas privés depuis quelques décennies de nombreux écrivains !)

J'ai vainement attendu que l'écrivain sorte enfin de l'anecdote ! Mais hélas ! Il ronronne dans sa description comme dans son analyse, c'est du sous-Figaro à longueur de pages, c'est de la presse people à tiens en veux-tu voilà ! Dieu, ce qu'il peut être ennuyeux. D'accord, on ne demande pas à un romancier de se transformer en docte doctorant pontifiant sur tel ou tel sujet ! Mais quand on aborde des sujets aussi sensibles que le droit à la vie privée, ou le respect de la personne humaine en tant qu'être sexuée, et qu'en plus on espère avoir la plus haute distinction littéraire de la France, on ne les traite pas de la seule manière affective, celle qui va faire s'indigner le lecteur et le forcer à réclamer plus de forces de police pour respecter le droit et les êtres. Comme cela est affligeant, et de voir à quelle pauvreté d'imagination l'auteur en est réduit dans son « exploitation » d'images pornographiques : c'est peut-être nécessaire de céder à une mode (la pédophilie en est le meilleur exemple), mais encore faut-il non seulement la dominer et surtout lui donner cette dimension qu'elle porte en germe (en clair, quelles en sont les raisons sociétales et humaines profondes, quelles en sont conséquences et toutes les implications sur l'être lui-même!)

On pourrait s'accomoder de la pauvreté d'une telle réflexion si, en contrepartie,

l'écrivain était capable de proposer au lecteur des situations originales, et de créer un certain suspens romanesque …

Mais hélas, mille fois hélas, n'importe quel chroniquer de n'importe quelle feuille de chou aurait fait aussi bien (sinon mieux … et alors que de goncourables n'aurions-nous pas !!!) … jusqu'à cette liaison aussi maladroite que déplorable qui sent à la fois son puritanisme et son hypocrisie moderniste, et qui ne reflète en rien l'enthousiasme amoureux de ceux qui peuvent découvrir une intense passion en dehors du mariage !

Dur, je suis ?

Oui, et le suis d'autant plus que la fin qui nous donne le fin mot « idéologique » de l'auteur méritait que ce qui la précède soit à sa hauteur, alors que …

Que nous enseigne donc cette fin ?

Qu'il ne nous faut pas regretter un Paradis qui semblerait être la réplique de tout ce que peut nous offrir la société de consommation actuelle, et que l'enfer serait alors bien plus doux puisque plus conforme à la société dans laquelle nous avons pu vivre précédemment et qui était tellement plus humaine puisqu'elle permettait à notre réflexion et à nos sens de s'exercer au mieux.

Alors on se plaît à imaginer notre auteur reprenant totalement son roman, enfin tout ce qui va de la page 33 à 199, pour les rendre en totale conformation avec son introduction et sa conclusion.

Me voilà donc déjà quelque peu rassuré sur le vote que j'aurais à émettre si j'étais jury du prix Goncourt !!!

 

PS Editions Gallimard, 2014, 211p., 17,50€