Dans un asile d'aliénés, une jeune femme, Pauline, se prend pour Napoléon ; pour la guérir, son docteur, l'emmène en Russie à la découverte d'un trésor que Napoléon, le vrai, aurait abandonné dans la régions de Smolensk lors de la retraite de Russie de 1812.
Arrivés en Russie et dès qu'ils sont interrogés par les douaniers, toute une série d'aventures les attend. Ce sont de faux (?) policiers qui les dépouillent, puis une grande équipée avec une bande de survivants, des « ranimés », des grognards, les fameux soldats de Napoléon, ou encore des escarmouches avec un commandant cosaque Ouglov, sans oublier l'épisode rocambolesque de leur retour en France.
On peut croire que les événements relatés se sont effectivement déroulés, d'autant qu'à de nombreux reprises, ils sont confirmés par des faits avérés historiquement, comme la traversée de la Bérézina. Mais je ne sais pourquoi, j'aurais plutôt tendance à les croire inventés de toutes pièces ; car, ils prennent alors une force que seule l'imagination est capable de conférer. Et il en faut pour ressusciter ou mieux créer ex nihilo des personnages comme Zanova, une princesse russe qui va les accueillir dans sa « maléfiques » demeure, ou encore imaginer l'or que seul le docteur serait capable de discerner car il prend alors la forme d'étincelles bleutées. Sans parler …
On nage alors dans une espèce de délire (ce qui est normal, puis qu'il s'agit d'une cure psychiatrique), où les deux niveaux, la réalité historique et celle inventée vont constamment se superposer. Le personnage de Pauline, Napoléon féminin, est une véritable trouvaille : dans ce rôle elle apparaît bien plus vraie que nature, et (le pire, en tout cas pour moi!) elle nous rendrait plus que sympathique ce tyran. L'auteur nous entraîne alors dans une illusion telle que par moments on pourrait la confondre avec la réalité : y-a-t-il passages plus réalistes que la faim ou les intempéries subies ? On a beau avoir lu des témoignages directs de ceux qu'ont pu laisser des membres de la grande armée, officiers ou simples grognards, on est « pris » par tous ces moments où nos héros sont pris par ces souffrances.
Et quand je dis héros, il s'agit aussi de ces soldats qui surviennent à l'improviste et qui sont « ranimés » ; j'aime beaucoup ce terme pour désigner les grognards ressuscités ; même si ce fait ne peut absolument pas être scientifique, car contraire à toute logique, à tout raisonnement et à la moindre expérience quotidienne, bref à tout ce qui nous a été enseigné et que nous impose la réalité de chaque jour, l'auteur s'en est tellement bien inspiré que, même si on peut douter de sa réalité, elle est tellement évidente qu'il est hors de question de la remettre un tant soit peu en cause. C'est ce qui contribue à la très grande force de ce roman : nous rendre totalement plausible ce qui ne peut absolument pas l'être !
La suggestion qui nous enchaîne à ce récit est telle que même ce qui pourrait être considéré comme un vulgaire artifice, les maléfices et autres pouvoirs occultes que peuvent assumer certains objets (comme une certains clochette), est perçu tout aussi naturellement que les personnages ; le lecteur ne peut faire autrement que se prendre au jeu de l'imagination totalement débridée que nous offre l'auteur. Le résultat est alors saisissant, puisque l'artifice, car il faut bien en trouver pour sortir de cette évocation, qui devient aussi grossier et improbable que le Deus ex machina de la tragédie classique, eh bien le lecteur l'accepte avec la même complaisance (et j'ose même écrire, bonheur) que tout le reste de la fiction.
Pour renforcer le tout, tout le roman baigne dans une atmosphère où l'humour omniprésent est manié avec une dextérité étonnante. Etonnante car il y a un contraste entre ce que nous pensons être l'intelligence d'un docteur, et l'ignorance crasse qu'il manifeste sur le plan culturel ! La dernière phrase du roman en résume parfaitement la teneur :
« Je ne connais pas ce Cléopâtre ni cette Ramsès. Mais l'Egypte ... »
Blagues de potaches, diront les détracteurs ; ou encore, guère sérieux jugeront ceux qui ne souffrent aucune parodie.
N'oublions pas aussi dans ce catalogue de procédés qu'utilise l'auteur, les jugements ou les descriptions de notre société contemporaine : là-aussi, l'ivrognerie russe, par exemple, est encore plus vraie que nature (et ce n'est pas faire là de l' « antirussisme » primaire, quand certains faits sont là pour nous le rappeler, comme la consommation excessive de vodka et autres alcools entraînant une très inquiétante augmentation de tuberculose !)
En tout cas, ce qui, pour certains, pourrait s'afficher comme une pure plaisanterie fort peu sérieuse, mérite qu'on s'y attarde un peu plus, car l'auteur nous fait, mine de rien, toucher du doigt quelques vérités : et en premier lieu qu'est-ce que la normalité ? Le « fou » qui se prétend Napoléon est-il plus déraisonnable que le médecin qui le traite (car tous les sortilèges qu'accepte comme monnaie courante le docteur, sont là pour témoigner qu'un être censé raisonnable sait aussi avoir des jugements et un comportement qui ne le sont point) Et la démonstration devient encore plus troublante, puisque le docteur censé soigner son patient « fou »? accepte tellement bien les « folies » de son patient, qu'il y participe avec une volupté puérile, au risque de passer par sa complicité même avec lui, aussi fou.
Mais aussi qu'est-ce que la réalité historique, et pardon pour des philosophes aussi sérieux que Hegel, des situations passées ne peuvent-elles pas elles-aussi se reproduire, et si oui, que sommes-nous pour en juger ?
Mais qu'importe, que vous le lisiez au premier degré ou en ayant en tête tout ce qu'il y a de sous-entendu, ce roman est digne de figurer en très bonne place dans toutes les bibliothèques ; c'est une véritable cure de jouvence qui vous est proposée !
PS Editions POL, 2016, 235 p., 16,50€