Marie-Sabine Roger : La tête en friche
Malgré toutes les apparences, c’est loin d’être une histoire banale ; un quadragénaire, Germain, célibataire, bon bougre, mais qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre, rencontre sur un banc public une petite vieille, Margueritte ; il compte les pigeons et elle le regarde ; elle est pensionnaire d’une maison de retraite, et elle vient régulièrement sur ce banc ; de fil en aiguille se lie entre les deux une intimité, d’autant que lui, le rustre, celui qui ne sait pratiquement pas lire, va profiter de l’intelligence de cette petite vieille, une scientifique de très haut niveau en retraite.
Peu à peu, il va s’échapper de son milieu social, sa mère qui l’a eu par hasard, et qui lui a fait toute sa vie sentir qu’il était tout, sauf le désiré ; il va également s’éloigner de ses amis de bistrot ; et il va commencer à découvrir la beauté de la lecture.
Alors qu’on est plongé constamment dans un univers somme toute très statique, comme si l’auteure voulait nous laisser apprécier à leur juste valeur chacun des petits faits qui marquent la vie quotidienne de Germain, le dénouement arrivera brutalement : Margueritte va découvrir qu’elle est atteinte de DMA ; sa mère à lui va mourir et …
Mais non, ne croyez surtout pas qu’ils vont former, ces deux-là, un couple original ; d’autant qu’à plusieurs reprises dans le roman, Germain nous prévient qu’il s’agit entre eux deux d’une amitié sans doute très forte, mais qui ne peut rester qu’à ce stade.
J’ai été un peu gêné, au début, par un style très relâché, à la hauteur du personnage, qui « cause si peu correct », avec tant et tant de fautes de syntaxe ; mais, pour une fois, étrange, cette sensation de gêne est très rapidement disparue ; d’autant que lorsqu’il s’agit de Margueritte, le style devient d’une limpidité et d’une telle maîtrise qu’on en prend un très vif plaisir.
Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs, puisque cette petite vieille lui fait découvrir la beauté de quelques chefs d’œuvres, « La peste » ou « La promesse de l’aube » ; elle est l’artisan d’un dégrossissement particulièrement intéressant ; ce n’est pas rien que d’apprendre les secrets de la beauté des livres à quelqu’un qui est devenu pratiquement analphabète (cf. les séquences avec le dictionnaire que Margueritte lui offre !) ; mais ce qui est passionnant dans ce livre, c’est que l’auteure est capable de faire la liaison entre une activité purement intellectuelle et la vie de tous les jours ; Germain retrouve dans quelques passages des livres qu’elle lui lit des rapports avec des épisodes de sa vie ; du coup ils prennent une toute autre importance. De même, grâce à Margueritte, Germain va pouvoir affiner ses sentiments et l’approche des autres ; ses amis de bistrot, certes, mais aussi Annette, sa petite amie ; parce qu’il devinera ce que veut dire aimer, il ne pensera plus « la baiser », mais « lui faire l’amour ». Ce distinguo n’est pas qu’une nuance, il nous montre au contraire que, grâce à la lecture et à l’amitié de Margueritte, commencent à s’établir chez Germain des échelles de valeur en fonction même des approches différentes que l’on a avec les autres.
Et de statique, faussement, que peut apparaître ce roman, on découvre une immense variété de situations et de sentiments ; mais rien d’affecté, au contraire tout est naturel ; avec ce roman, je n’ai jamais eu autant l’impression de lire dans le grand livre de la vie quotidienne. Avec la simplicité des sentiments mais aussi leur pudeur qui vous fait apprécier chaque moment de votre vie.
Bien sûr ce n’est qu’une fiction, mais elle est tellement plausible.
Je ne connaissais pas cette auteure, et je suis gré à cet ami qui me l’a signalée. Puissiez-vous avoir autant de plaisir à la lire que moi, et si d’aventure vous ne la trouvez pas dans votre médiathèque préférée, n’hésitez pas à faire combler cette lacune … nul doute que les bibliothécaires vous en seront reconnaissants !
PS Editions du Rouergue 2008, 218p., 16,50€