Jean-François Parot : L'énigme des Blancs-Manteaux
Comme de très nombreux téléspectateurs, je suppose, j'aime beaucoup la série du Commissaire Nicolas le Floch ; il faut dire que cette période du siècle des lumières est des plus fascinantes dans notre histoire de France, et l'aborder sous l'angle d'enquêtes policières est pour le moins original, à condition que cet esprit du 18ème siècle soit respecté … ce qui est le cas, et pour notre plus grand bonheur.
Quoi de plus normal, alors que de se mettre en quêtes des romans qui sont à l'origine des ces séries télévisées. L'auteur, Jean-François Parot, je l'ignorais jusqu'à ces jours derniers. Je ne pousserais pas l'éloge à me demander comment j'avais pus vivre déjà tant de temps sans lui ! Ce serait bien évidemment exagéré … mais il n'empêche que l'un de ses premiers romans, le second, si mes investigations sont exactes, fut une très heureuse découverte !
D'abord parce qui est évident à l'écran, est beaucoup plus difficile à réaliser dans l'écriture : reproduire une atmosphère, toute celle de l'époque qui recouvre la seconde moitié du 18ème siècle. Je ne suis certes pas un historien spécialiste de la fin de l'ancien régime ; mais le peu qu'il m'a été donné d'en connaître, et je pense en particulier à des écrivains comme Diderot ou Voltaire, me fait soupçonner la véracité de cette évocation. Toute en finesse, comme il sied si bien à cette époque, elle nous fait pénétrer dans les arcanes du pouvoir, celui réel, de quelques-uns ; les hommes de l'ombre, si l'on peut dire ; mais aussi le « pouvoir d'apparat », celui superficiel et hypocrite des courtisans. Et enfin un autre niveau, celui qu'autorise la confrontation entre les deux premiers : la conspiration, la malversation, les menées souterraines … c'est alors la place aux crimes et autres crapuleries, et donc l'univers familier du commissaire Le Floch.
Cette atmosphère c'est aussi un cadre : celui parisien, le Paris d'un autre temps qu'on a tout le loisir d'imaginer à notre propre fantaisie d'autant plus qu'il ne nous en reste que quelques rares vestiges, ceux que les aléas de l'histoire, notamment avec le baron Haussmann, ont bien voulu consentir à nous laisser. Mais le charme de cette découverte, c'est bien qu'elle emprunte des modes qui nous sont maintenant totalement étrangers : qui aurait l'idée actuellement de parcourir les rues (pour la plupart étroites à l'époque ) de la capitale à cheval ? Et tous les obstacles que l'urbanisme moderne a annihilés resurgissent rendant encore plus réaliste la description de ce vieux Paris que nous propose l'auteur.
Cette atmosphère c'est surtout toute une vie qui grouille et dont on a perdu jusqu'à l'idée même. Les notions de foule, de bousculade, les rapports marchands, tout est complètement différent, et de nous replonger dans ce passé, c'est redécouvrir en un saisissant raccourci toute l'évolution qui nous a marqués en un peu plus de deux siècles. Vie aussi culturelle, on connaissait les derniers salons où l'on causait, mais ils sont là sous nos yeux, et l'on se régale quand interviennent des musiciens qui nous enchantent encore actuellement à plus de deux siècles de distance, comme Balbastre … où lorsque sont mentionnés ces encyclopédistes qui ont bercé nos humanités !
Le temps avec ses divisions, jour et nuit, n'a plus la même dimension qu'aujourd'hui : les éclairages publics, rares sans doute à l'époque, confèrent aux scènes nocturnes une aura de mystère doublée d'un sentiment de peur, inimaginable actuellement où l'on ne sait plus ce qu'est l'obscurité totale ! Ces truands qui agissent au plus profond de la nuit, n'en sont alors que plus terrifiants.
Dans un tel cadre, et dans une telle atmosphère c'est l'enquête du commissaire le Floch ; intéressant car on retrouve des données du polar contemporain : comme pas exemple, la présence d'un inspecteur complètement englué dans des impossibles dettes de jeu qui forcément va être entraîné dans l'impossible ! Mais tous les personnages seraient à analyser de façon approfondie : le « couple » Le Floch et son adjoint Bourdeau – c'est une constante aussi fort contemporaine où les commissaires héros de l'histoire sont accouplés à des adjoints, tout aussi méritants ! - Mais aussi le Lieutenant Général de la police qui met ce couple à l'épreuve, ou encore les scientifiques, l'équivalent de la police scientifique de notre époque.
On remarquera l'intrigue qui mêle savamment le crime crapuleux et une affaire d'état, qui fait intervenir aussi bien la réalité avec les grands de ce monde Madame de Pompadour et le roi Louis XV que la fiction pure ; il sera difficile de ne pas se laisser prendre au jeu … L'auteur sait distiller au compte-gouttes les informations qui peuvent nous mettre sur la voie de la solution ; il se plaît à mêler ces quelques très rares indices avec d'autres éléments tout aussi plausibles, mais qui nous éloignent bien évidemment de la découverte ; pour ce faire il crée des personnages, sans doute ambigus, mais qui ne peuvent qu'avoir toute la sympathie du lecteur et c'est le cas, par exemple, de ce chirurgien de la marine, Semacgus qui nous intéresse d'autant plus qu'il peut représenter l'esprit même du scientifique qui s'oppose au caractère obtus de la chose définitivement admise et dont le porte-parole, Descart, est un autre chirurgien tout à fait officiel.
On s'amuse à voir comment Le Floch sait utiliser toutes les ressources et ficelles dont useront et abuseront les romans policiers de notre époque : les mouchards, les espions, les maquerelles et autres tenancières de lieux de « mauvaise » vie ; le recours à la menace de la question, mais seulement menace, car cette dernière, la torture, Le Floch la récuse au nom de la morale et aussi de l' efficacité : la référence au supplice qu'a subi Damien accusé de régicide est rappelée fort à propos.
Littérairement parlant ? Il y a dans la façon de raconter quelque chose qui ne saurait tromper, l'auteur est bien un contemporain et possède toutes les qualités de la narration moderne : très objectif face à l'aventure policière qu'il tente de dénouer, il est capable de la décortiquer (le découpage en jour à l'intérieur des chapitres est symptomatique de cet état d'esprit) avec la minutie et la neutralité exemptes de toute passion. Pour mieux arriver à cette fin, l'auteur retranscrit tout naturellement le vocabulaire, et les tournures de l'époque évoquée. Ce n'est pas pour rien, du reste que Jean-François Parot est, en plus de diplomate, un des spécialistes du Paris du 18ème siècle.
A lire ce roman, à le dévorer en ce qui me concerne, l'évidence saute aux yeux : sa conception et sa réalisation sont autant cinématographiques que littéraires, et l'on comprend qu'il puisse séduire les amoureux de ces deux arts.
PS 1 En même temps que j'ai écrit ce compte-rendu, j'ai achevé la lecture d'un autre roman de Jean-François Parot : « L'inconnu du Pont Notre-Dame », et je me rends compte qu'il suffit d'échanger les références à l'action et le nom des personnages pour que l'on puisse écrire la même critique !
PS 2 Editions JC Lattès, 2001, 430 p.