David Albahari : Ma femme
Recueil de quelques dix huit nouvelles, dont le trait commun est l’exploration de la femme, et essentiellement en couple.
On retrouve toute la gamme de situations, de la plus banale, la plus ordinaire, à la moins fréquente, comme celle d’une partie carrée entre deux couples.
Ce ne sont pas ces situations comme leur déroulement qui nous frappent, mais bien plutôt les réactions psychologiques qu’elles entraînent chez les protagonistes.
Le ton nous est donné dès la première nouvelle, « ma femme a les yeux clairs » où le dialogue entre l’auteur et sa femme est surtout prétexte à analyser ce qui peut opposer une femme à une homme ou ce qui peut les unir ; on découvre deux univers qui ne peuvent être que différents et surtout qui sont incompatibles, tant le rapport de force entre les deux individus ne peut être que conflictuel. Même si par moments il y a forcément réunion (ne serait-ce que pour de simples besoins sexuels), il n’empêche que l’homme comme la femme se retrouve dans sa sphère tout seul sans que le partenaire ne puisse aussi s’y installer durablement.
Vision en fait très pessimiste du couple que l’on retrouve tout le long de ce recueil et qui trouve son apogée dans la dernière nouvelle : « Le nom et la photo ». Après avoir vu placardé un avis de décès et d’enterrement d’une femme, un homme se rappelle brutalement que cette femme, il l’a aimée quelque temps, qu’ils ont même vécu ensemble mais que leur séparation n’a été que le fait de leur propre exigence personnelle.
Si cette vision est aussi pessimiste que vous le dites, me ferez-vous remarquer, pourquoi avoir lu tout ce recueil propre à décourager le lecteur le plus armé moralement qui soit ?
Pour une raison bien simple, c’est que David Albahari sait parfaitement écrire (et encore une fois on ne peut que féliciter ce traducteur, comme nombre d’autres, qui a su rendre si vivant en Français ces textes).
Une construction qui enchaîne les situations, même les plus disparates sans s’embarrasser d’inutiles fioritures et transitions ; et même si un procédé comme de numéroter les différents moments d’un récit, peut sembler quelque peu artificiel, il est utilisé tellement judicieusement, que le temps ainsi décomposé devient partie intégrante du processus narratif lui-même.
Un art du récit qui sait utiliser les procédés, même les plus éculés, avec une originalité et une vivacité qui étourdit le lecteur : prenez le dialogue de la première nouvelle, de l’auteur avec sa femme, et vous aurez alors tout l’art d’Albahari, et jamais il ne sera pris en défaut de médiocrité, même dans les situations les plus scabreuses.
Ajoutez à cela une phrase qui coule naturellement, même lorsqu’elle est complexe, et que l’on lit avec la plus grande délectation, vous comprendrez lors pourquoi, malgré un contenu parfois très pessimiste, on demeure fasciné par un tel recueil.