J'aurais sans doute ignoré l'existence du peintre Jean-Jacques Henner qui a son musée à Paris, n'aurait été le concert dont j'ai eu très fortuitement connaissance et donné par le quatuor Nijinski.
Imaginez une grande maison bourgeoise, qu'on désigne aussi sous le vocable d'Hôtel particulier ; une belle bâtisse du début 19ème siècle et qui a servi d'atelier à un peintre dont l'heure de gloire n'aura été qu'à la mesure de l'oubli dans lequel il est tombé, un certain Guillaume Dubufe (1853-1909).
Après la mort de Jean-Jacques Henner, en l'an de grâce 1905, sa famille achète cet hôtel, le transforme en musée à la gloire du peintre, et le lègue à l'Etat sous la condition expresse que ce dernier le prenne en charge. Heureux temps que cette époque où les finances publiques pouvaient prendre en compte cet aspect qui forge l'identité culturelle d'une nation, l'art.
A vrai dire, je n'ai guère été emballé par ce peintre dont la « bondieuserie » à fleur de peau rime trop avec le faux clinquant d'un naturalisme excessif. Mais bon, il existe, et comme malgré tout c'est du travail bien fait (ce n'est pas pour rien que Henner a séjourné cinq ans à la Villa Médicis à Rome, et qu'il s'est imprégné de l'art italien!), il faut bien accepter que l'on puisse comprendre, voire aimer son œuvre.
C'est donc tout empreint de ses tableaux (j'ai eu le temps d'y jeter un coup d'oeil!) que j'ai pu me préparer à assister à un concert qui promettait comme rarement un concert peut le faire.
Pensez deux quatuors à cordes, le 1er de Janacek, écrit en 1923, et largement inspiré, au niveau émotionnel de « La Sonate à Kreutzer » de Léon Tolstoï ; et le second, le second de Brahms datant de 1873. Ces deux œuvres étant interprétées par le quatuor Nijinski. Si vous ne le connaissez pas, sachez qu'il est composé de quatre solistes de l'orchestre national de l'Opéra de Paris, soit, comme on dit vulgairement, de grosses pointures.
Me préparer aussi dans un certains appréhension : le lieu ! Visiblement l'ancien atelier de Dubufe ; c'est-à-dire un espace très haut de plafond (à vue de nez au moins 7 mètres, avec de grands espaces vitrés ; quelle acoustique cette disposition allait-elle révéler ?
Une heure plus tard, je suis sorti de ce concert plein d'un enthousiasme complètement délirant.
Dès les premières mesures de Janacek, sur des arpèges complètement insensés tandis que tour à tour, les quatre instruments nous exposent le thème lancinant (très slave !) du quatuor , le lieu nous montre une qualité acoustique tout à fait exceptionnelle :, tout ce qui fait l'essence même de la musique nous apparaît avec une telle netteté qu'on avait l'impression de lire dans la partition elle-même.
La moindre des nuances, la moindre des intentions, le phrasé, tout prend un relief difficilement imaginable ; et par moments, l’intensité est telle que, fermant les yeux, on a l’impression d’entendre un véritable orchestre à cordes.
Alors dans un tel contexte que dire des musiciens ! On a beau savoir ou tout au moins deviner, qu'ils font partie du gratin de la musique, on a beau savoir ou tout au moins deviner que leur sens de l'interprétation est au moins égal à leur technique, ce qui n'est pas peu dire, on reste quand même émerveillé de ce qu'ils sont capables de donner de ces deux partitions. Elles deviennent alors d'une force irrésistible, et nous entraînent dans ce monde absolument magique que les mots eux-mêmes sont incapables de décrire un tant soit peu.
D’autant que, il faut regarder jouer ces musiciens : quelle complicité entre eux, et pas seulement celle de musiciens avertis (oh combien !) ! Il y a des légers sourires qui ne trompent pas, celui entre les deux violonistes, ou encore la façon dont le violoncelliste scrute le visage de ses compagnons … comme si la musique, le son devenait une réalité aussi concrète qu’une caresse …
Partitions majeures, certes dans l'histoire de la musique de chambre, et qui placent très haut leurs auteurs ; Janacek confirmera tout son talent avec son second et si poignant second quatuor, « Lettres intimes » ; et aucune des autres oeuvres avec quatuor à cordes (que l’on pense au quintette avec clarinette ou ceux avec piano, par exemple !) ne démentira l’excellence de Brahms dans la musique de chambre.
Si d'aventure, un jour, votre route croise celui de ce quatuor Nijinski, alors, n'hésitez pas l'ombre de la plus petite seconde, et abandonnez toute autre occupation pour aller l'entendre ...