Craig Johnson : Enfants de poussière
Qu’une Vietnamienne se fasse tuer au plus profond du plus profond des Etats-Unis, et voilà le shérif Walt replongé dans une autre enquête celle qu’il a menée de nombreuses années auparavant au Vietnam, lorsqu’il était militaire.
Les deux enquêtes ont de nombreux points communs, avec en toile de fond, un amour pour une pute vietnamienne, des trafiquants de drogues ou fournisseurs de bordels clandestins, mais aussi des personnages bien sous tous rapports qui se révèlent être les pires des criminels …
Une double enquête passionnante de bout en bout.
En écrivain consommé (j’ai eu l’occasion, il y a deux ans dire ici-même tout le bien que je pensais de cet auteur américain), il manie avec maestria la double histoire : on appréciera, entre autres, comment un mot, une phrase marquant un point essentiel d’une enquête entraînent immédiatement son sosie dans l’autre enquête ; ces correspondances ne peuvent que ravir tous les amoureux de la construction parfaitement léchée.
Point qui ne gâte rien, bien au contraire, notre héros de shérif, est un fin cultivé qui manie aussi bien l’art du piano que la gâchette (objet indispensable surtout aux States !) et dont les connaissances artistiques raviront les lecteurs « cultivés » que nous sommes ! le comble du raffinement, et c’en est un délice, étant bien que l’un des suspects –vite innocenté- se trouve être un indien tout droit sorti ou presque de la réserve d’indiens et qui outre le fait d’être un géant à l’aspect d’une brute épaisse se révèle un redoutable … joueur d’échecs.
Ce qui peut sembler farfelu, incongru, nous renvoie à cette constance de cette double enquête : l’éloge inconditionnel de la diversité et du respect fondamental que chacun d’entre nous doit porter à l’autre, quelles que puissent être ses différences. C’est l’amour partagé de Walt pour May, la pute vietnamienne, mais c’est aussi son immense amitié avec les peuples opprimés, décimés, ravagés par nos civilisations, que sont les Amérindiens. Et ce respect va jusqu’à leur maintenir leurs noms originels.
A y réfléchir un peu plus longuement, l’entêtement que met le soldat Walt (j’ai oublié son grade, mon antimilitarisme primaire refait surface !) à découvrir les responsables du trafic de drogue qui polluent certaines base américaines au VietNam, participe du même état d’esprit : respecter son ennemi, c’est aussi faire régner une certaine morale chez soi, d’autant que la drogue est aussi exploitée pour mieux aliéner les populations civiles que défend l’ennemi …
On a su, par de très nombreuses enquêtes, les dégâts qu’avait pu faire la guerre du Vietnam dans la population, en particulier, masculine américaine ; les traumatismes sont tels que loin d’être résorbés aujourd’hui, ils continuent de hanter les esprits des hauts responsables face à tous ceux que pourraient à leur tour provoquer les interventions américaines tant en Afghanistan qu’en Irak. Je ne sais si l’auteur est allé effectivement au Vietnam, par contre ce qu’il en relate semble d’une étonnante vérité, corroboré qu’il est par d’autres récits de cette sale double guerre (la Française puis l’Américaine) faits par tant d’autres protagonistes.
Alors dans ce roman ?
On chercherait vainement la simplification à l’extrême et mortellement ennuyeuse de nombre de policiers, commissaires et autres shérifs qui, carrés et imbus de leur autorité, trouvent immédiatement la solution. Walt est à l’opposé ; sa personnalité du Shérif (comme celle de ses adjoints, d’ailleurs) et sa vertu cardinale : son entêtement à aller au-delà des apparences, et à trouver l’enchaînement logique qui l’amènera à découvrir l’assassin, et ce au péril même de sa vie ; dans les deux enquêtes, violentes sont certains pages mais en même temps quelle détermination ne montrent-elle pas, et quel souci de la primauté de l’éthique sur le circonstanciel ne révèlent-elles pas !
Ce qui m’a sans doute le plus frappé, ce n’est pas tant la résolution de l’affaire que toute la démarche entreprise et son évolution pour arriver à la solution ; dans les deux enquêtes on est irrésistiblement attiré (comme dans une partie d’échecs, et on est alors frappé de cette référence dans le roman) par tout le processus enclenché. L’essentiel n’est pas de savoir qui est l’assassin, mais bien comment Walt et son équipe arrivent à le démasquer.
Bien sûr c’est un roman profondément « moral », puisqu’il est la condamnation sans appel de la drogue, et encore plus du trafic de prostitution ; ce n’est pas cette condamnation en elle-même qui nous intéresse mais bien plutôt les raisons éthiques. Ce n’est pas un puritain, ce Walt ; ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit ! Ce n’est pas parce qu’il est (à juste titre) contre la drogue (il ne fume même pas de cigarettes), ce n’est pas non plus parce qu’il s’oppose ardemment à la prostitution, qu’il fait la fine gueule sur les plaisirs de la vie : il n’a pas banni de sa propre vie toute sensualité, mais elle doit être dominée par la raison…
Vastes débats … et alors on comprend pourquoi ce roman fascine, parce qu’il dépasse largement le simple cadre du roman policier ; il nous fait rentrer dans cet univers dont la littérature, l’écrit ont le privilège : permettre à notre esprit de réfléchir, tout en le divertissant.
PS1 : j’ai eu le grand plaisir de rencontrer Craig Johnson lors d’une séance de dédicace dans une librairie… mais j’ai été complètement frustré de ne pouvoir échanger avec lui et d’aborder tous ces thèmes qui semblent lui être si chers ! mais hélas, lui ne parle pas Français, et moi parfait ignorant de la langue anglaise !
PS2 Editions Gallmeister, 2012, 323p., 22,50€